Cet article est une version augmentée du threads publié le 03/07/2022 consultable sur Twitter.
Le 23 juin dernier, nous fêtions les 15 ans de la sortie japonaise de The Legend of Zelda: Phantom Hourglass. Comme cela n’a pas trop fait de vagues, voici un petit article d’appréciation musicale de cet épisode un peu oublié de la Nintendo DS, qui contient pourtant de belles références. Phantom Hourglass est la suite directe de The Wind Waker, sortie en 2007, donc cinq ans après. Si on en parle peu, c’est probablement parce que le jeu est arrivé sur une console portable, juste après un Twilight Princess qui avait monopolisé l’attention des joueurs et les équipes de développeurs.
Pour couronner le tout, l’épisode se déroule hors d’Hyrule, donnant aux petites aventures de Link et Tétra une saveur très anecdotique. Il fait également le lien avec Spirit Tracks, qui arrivera deux ans après sur la même console, et qui a tendance à diviser (mais la musique de cet épisode mérite largement le détour, j’y reviendrai un jour, promis). Dans la modeste équipe de développement, Kenta Nagata et Tôru Minegishi sont à la musique. Ces deux vétérans, entrés chez Nintendo dans les années 1990, ont déjà une bonne expérience sur la série emblématique. Malgré la petite envergure du titre, rien n’est donc laissé au hasard.
Par sa conception pour console portable et certains aspects du scénario, l’épisode a en effet des ambitions qui le rapprochent de Link’s Awakening (sans les instruments). Par contre, musicalement, il y a surtout des liens à faire avec l’épisode Super Nintendo, A Link to the Past. Aujourd’hui, je vais parler de la figure du « méchant », Bellum, qui m’a bien marquée. L’histoire du jeu est assez simple : pendant leur voyage, au cours duquel ils explorent les terres se trouvant au-delà d’Hyrule, Tétra disparaît alors qu’elle monte à bord du mystérieux Navire Fantôme. Sautant à sa rescousse, Link tombe à l’eau, perd connaissance et se réveille sur une île inconnue, face à une fée amnésique du nom de Ciela. Rejoignant un homme douteux et obsédé par l’argent du nom de Linebeck, mais qui a l’avantage d’avoir un bateau et un intérêt pour leur ennemi commun, ils partent à la poursuite du Navire Fantôme (qui détient Tétra, mais aussi – paraît-il – des trésors).
Ce que j’ai trouvé particulièrement intéressant musicalement, c’est le jeu de cache-cache avec le Navire Fantôme. Cette figure évasive met en effet du temps à montrer son vrai visage, et nous fait faire fausse route ! Des histoires de fantômes, il y en avait déjà dans l’épisode précédent, The Wind Waker… Et qui se cachait généralement derrière les spectres ? Ganon, bien sûr, prêt à kidnapper Tétra et à s’emparer de la Triforce. Aussi, lorsqu’on entend son thème accompagner le « Brouillard » qui entoure le Navire lors d’une course-poursuite, on n’est pas très surpris et l’on s’attend à tomber sur le seigneur du Mal qui se serait une fois de plus réveillé.

Il n’y a pas de doute possible à ce moment-là, la référence est on ne peut plus claire, et cite le fameux thème du prince des ténèbres originellement composé pour A Link to the Past. Sauf que le propriétaire du Navire Fantôme n’est en fait pas Ganon. Link et le joueur l’apprennent très tard dans le jeu, mais l’antagoniste de l’épisode est en fait un poulpe géant qui s’appelle Bellum (référence latine à la guerre), et se nourrit de la force vitale des pauvres navigateurs et divinités qui croisent sa route. Il règne sur son propre monde, bien à part d’Hyrule (et probablement dans un autre univers), et n’a pas vraiment de parenté avec Ganon.
Dès que la révélation est faite, le véritable thème qui représente Bellum fait son entrée. Instable, il est constitué d’une phrase simple qui se répète en s’allongeant. D’ailleurs, peut-être que cette nouvelle mélodie torturée vous dit quelque chose ? C’est bien normal, car si juste avant on nous citait Ganon, le vrai thème de Bellum se trouve dans un autre château. Ou plutôt, il s’agit en réalité de l’introduction du thème des donjons du monde de lumière de A Link to the Past.

Ce thème va accompagner l’intégralité des apparitions du céphalopode maléfique jusqu’à la fin du jeu. Une des reprises les plus impressionnantes étant celle de la possession de Linebeck par Bellum, où les deux mélodies luttent véritablement entre elles à partir de 22 secondes, le thème de Bellum venant dialoguer avec celui de Linebeck, et le parasiter avec des dissonances particulièrement audibles.

Maintenant, la question « pourquoi ce thème ? » se pose. Il est difficile d’y voir autre chose que le pur plaisir de jouer à cache-cache avec de vieilles références connues des joueurs des anciens épisodes. Cependant, l’ombre du Ganon de A Link to the Past n’est pas bien loin : un parallèle thématique est par exemple fait lors d’une phase de combat contre Bellum qui reprend clairement la mesure asymétrique et la structure de la basse du combat final contre Ganon de l’épisode SNES.
Peut-être que les développeurs et compositeurs ont voulu insinuer qu’en se jetant à la poursuite du Navire Fantôme, Link et Tétra revivent de façon illusoire les événements de The Wind Waker, et la malédiction ancestrale qu’il fuient. Après tout [Spoiler] à la fin du jeu, les deux jeunes gens s’éveillent sur un Navire Fantôme désert, et découvrent, confus, que leur aventure n’a en fait duré que dix minutes. Tout semble donc n’avoir été qu’un mauvais rêve, le bateau s’évanouit et le voyage reprend. [Fin du spoiler] Quoi que veuille dire ce choix, il est intéressant de voir comment les compositeurs ont ici décidé de mener le joueur par le bout du nez en utilisant ouvertement le thème de Ganon. Quelques années plus tard, dans Skyward Sword, leurs collègues feront le contraire en n’utilisant pas le thème du méchant emblématique, là où il aurait pourtant parfaitement sa place. Si la question vous intrigue, je l’ai décortiquée dans cet autre article.
On voit bien ici à quel point l’héritage de A Link to the Past est devenu complexe et donne lieu à différents choix de références sur le plan musical. Les références au niveau du gameplay ne sont d’ailleurs pas en reste, certains combats reprenant le « ping pong » d’Ocarina of Time de façon très évidente. D’ailleurs à ce sujet, le jeu n’a pas fini de vous surprendre, et je vous recommande d’écouter le thème de Ciela avec beaucoup d’attention. Si ici le thème ne dévoile pas forcément la réelle nature du personnage, la référence n’en est pas moins intéressante.